Tunis réagit à l’interview d’Infosud avec Radhia Nasraoui

Publié le par INFO SUD

Nous publions ci-dessous la réaction de l’ambassadeur de Tunisie à notre interview à Radhia Nasraoui, "L’antiterrorisme favorise a montée de l’islamisme" (voir ci-dessous) :

Monsieur le Directeur,
Suite aux allégations publiées par votre agence le 19 septembre 2008 sous le titre « L’antiterrorisme favorise la montée de l’islamisme », nous vous prions de porter les précisions suivantes à la connaissance de vos lecteurs :
1-Me Nasraoui prétend que la loi du 10 décembre 2003 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent « permet d’emprisonner les gens sans qu’il n’y ait des charges contre eux » et que « les autorités peuvent accuser n’importe qui d’appartenance aux réseaux terroristes sans preuves ».
Or, il n’en est rien et de telles allégations sont dépourvues de tout fondement juridique. En effet, la loi du 10 décembre 2003 portant soutien aux efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent ne prévoit aucune disposition dérogatoire au régime normal de la preuve en matière pénale qui demeure régi par le code de procédure pénale. De même, la loi de 2003 ne contient aucune disposition permettant « d’emprisonner les gens sans qu’il n’y ait des charges contre eux ».
En effet, cette loi ne porte aucunement atteinte aux garanties fondamentales dont jouissent les prévenus. Il ne s’agit ni d’une loi d’exception ni d’une loi dérogatoire aux principes fondamentaux du respect de la liberté et de la dignité des personnes, étant donné qu’elle est en parfaite conformité avec l’article 12 de la Constitution tunisienne qui « interdit de soumettre quiconque à une garde à vue ou à une détention arbitraire » et dispose expressément que « la garde à vue est soumise au contrôle judiciaire » et qu’il « ne peut être procédé à la détention préventive que sur ordre juridictionnel ».
Par ailleurs, et contrairement à ce qui a été allégué par Me Nasraoui, la garde à vue des personnes impliquées dans des crimes terroristes ne relève pas de la loi du 10 décembre 2003 mais du code de procédure pénale, qui ne prévoit aucune disposition dérogatoire au droit commun pour les infractions terroristes. En plus, l’article 13 bis dudit code prévoit toute une série de garanties qui cantonnent la garde à vue dans des limites très strictes (durée limitée à trois jours qui ne peut être prorogée qu’une seule fois pour une durée n’excédant pas trois jours sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, obligation de faire mention de la garde à vue dans un registre spécial soumis au contrôle de la justice, obligation d’informer immédiatement les membres de la famille de la personne gardée à vue, droit de la personne gardée à vue de demander à être soumise à un examen médical…).
2-Me Nasraoui affirme, par ailleurs, que la loi du 10 décembre 2003 « viole les principes élémentaires permettant d’assurer des procès équitables ». Cette affirmation est entièrement fausse. En effet :
- La loi tunisienne du 10 décembre 2003, contrairement aux législations en vigueur dans d’autres pays, n’a pas institué de délais de garde à vue ou de détention préventive dérogatoires aux délais applicables aux crimes autres que les crimes terroristes.
- De même, cette loi n’a pas institué de tribunaux d’exception et a conféré la compétence pour juger les crimes terroristes aux tribunaux de droit commun.
- Conformément à cette loi, l’assistance d’un avocat est obligatoire. Les personnes poursuivies pour infractions terroristes jouissent de ce droit.
- La tenue d’audiences publiques est également un principe fondamental qui n’a pas été touché par la loi du 10 décembre 2003.
- Les procès des crimes terroristes sont des procès contradictoires permettant de discuter les éléments à charge et à décharge.
- La garantie du double degré de juridiction est également un principe fondamental permettant le réexamen du procès en totalité devant une formation judiciaire supérieure.
- Le recours en cassation est en outre prévu.
3-Me Nasraoui prétend aussi que la loi du 10 décembre 2003 permet aux magistrats, aux témoins et aux enquêteurs de cacher leur identité ce qui priverait les personnes inculpées du droit de récuser le juge ou le témoin.
Il convient de préciser, à cet égard, que la loi de 2003 n’a prévu la possibilité de ne pas dévoiler l’identité de témoins, de magistrats et d’officiers de police judiciaire que dans l’unique but de leur procurer la protection nécessaire contre les dangers qu’ils pourraient affronter ; étant bien entendu que plusieurs conventions internationales, notamment la convention internationale pour la lutte contre la criminalité transnationale organisée, exigent d’assurer une telle protection aux témoins et à tous ceux qui concourent à la lutte contre ce genre de criminalité ainsi que leurs familles.
En outre, il y a lieu de souligner que la loi tunisienne de 2003 a entouré cette mesure de conditions très strictes qui rendent son application exceptionnelle. En effet, l’article 49 de ladite loi dispose clairement que la possibilité de ne pas dévoiler l’identité des magistrats et témoins ne peut être utilisée « qu’en cas de péril en la demeure ». Cette mesure n’est donc pas une mesure habituelle qui s’applique chaque fois qu’un procès pour crime terroriste est ouvert. C’est une mesure exceptionnelle qui ne peut être utilisée que si des circonstances extrêmement graves la justifient.
Aucune décision de justice ayant fait application de cette mesure exceptionnelle n’a été rendue, à ce jour. La loi de 2003 n’a fait que prévoir, en fin de compte, une mesure exceptionnelle pour parer à d’éventuels dangers sans toucher aux garanties des prévenus.
4-Il est également faux d’affirmer comme l’a fait Me Nasraoui, que la mesure permettant de ne pas dévoiler l’identité des magistrats et des officiers de police judiciaire prive le prévenu de son droit de récuser le magistrat ou de porter plainte contre l’officier de police judiciaire.
En effet, l’article 52 de la loi de 2003 consacre expressément le droit du prévenu ou de son conseil de demander à l’autorité judiciaire saisie de l’affaire que les identités qui ont été tenues secrètes leur soient révélées.
De ce fait, dire que la loi de 2003 prive le prévenu de son droit de récuser le magistrat ou de porter plainte contre l’officier de police judiciaire revient tout simplement à faire dire à la loi ce qu’elle n’a jamais dit. Le législateur tunisien a essayé d’instaurer un équilibre entre la protection des magistrats, officiers de police judiciaire et témoins, d’une part, et les droits de la défense des prévenus, d’autre part. Le droit à la récusation n’a jamais été remis en cause puisque le prévenu peut demander la révélation des identités tenues secrètes.
5-Me Nasraoui prétend également que la loi de 2003 porte atteinte au secret professionnel de l’avocat en l’obligeant à dénoncer les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions terroristes. Or, cette affirmation est dénuée de tout fondement.
La loi du 7 septembre 1989 portant organisation de la profession d’avocat est un texte spécial qui exclut l’application du texte général. C’est là un principe de droit que tout juriste connaît parfaitement.
De ce fait, tout ce qui a été dit par Me Nasraoui ne repose sur aucun fondement, et il aurait été souhaitable et déontologiquement indiqué, de vérifier ces allégations avant publication.
Vous remerciant des dispositions que vous prendrez pour publier le présent droit de réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Directeur, nos meilleures salutations.

L’Ambassadeur Rafiaâ Limam Baouendi
(Source: « InfoSud » (Agence de presse – Suisse), le 25 septembre 2008)
Lien : http://www.tunisnews.net/nyvers/newsletter/newsletters/

Publié dans ESPACE INFO

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