"LETTRE OUVERTE A MON GENERAL"

Publié le par TUNISIE STOP TORTURE

Mon général, je me présente je suis un artisan-artiste. Les  sfaxiens nous ont  fabriqué un joli  sobriquet  « sta » pour nous nommer, autrement dit, « maître », dans une des innombrables corporations des métiers du bâtiment. Et comme souvent ces « sta »,  je m’adonne à la musique et mon instrument de prédilection est une simple « caisse » qui nous vient du Pérou et que ces derniers nomment joliment « El Cajon péruviano ». Pour tout vous dire, avec cette instrument, j’ai pu exprimer une sensibilité et un trop plein d’émotion en jouant  tous les styles de musique, du jazz, en passant par le flamenco, les rythmes cubains, africains voir asiatiques. Sur You Tube ou Daily Motion, (que votre police du net interdit d’accès)  il se trouve quelques vidéos où je fais une modeste démonstration de mon modeste talent.  Dans mon métier,  la rénovation des vieilles bâtisses, j’ai pu approcher  tous les savoirs faires qui font qu’aujourd’hui  je peux construire, de mes mains, une maison en prenant en considération les derniers développements en matière d’économie d’énergie, d’utilisation de matériaux « nobles », non polluants et qui résistent à l’usure du temps…
Pour parfaire ma « bio », j’ai été renvoyé de tous les lycées de la Tunisie « par décision ministérielle pour participation à des actions de troubles de l’ordre public » le 5 février 1972, à l’occasion de la plus grande manifestation de la jeunesse lycéenne et estudiantine  de l’ère de feu le président Bourguiba, celui-là même que vous avez renversé à l’occasion de votre « coup d’Etat Médical » en 1987, en ce « 7 novembre » jour béni pour tous vos soutiens. C’est dire que je n’ai pas attendu ma cinquante cinquième année (je suis né en 1955, année de l’indépendance) pour manifester ma révolte, celle-ci chemine avec moi depuis mon adolescence et rien n’est venu l’atténuée, pas même l’âge, au contraire…
Mon Général, vous venez d’organiser,  en grande pompe, et aux frais du contribuable, un grand happening que vos thuriféraires et vous-même avaient appelés « élections » présidentielle et législatives. En coordonnant avec quelques amis à Paris un modeste « collectif pour le boycott des élections en Tunisie », nous avons intitulé cette « takhmira »(transe), « farce électorale ». Notre talentueux caricaturiste, le blogueur Z (débat Tunisie) sur le net, vous a taillé un portrait où la finesse du trait et les scénarios de ses bandes dessinées  valent milles programmes politiques. Vous et les vôtres en guise de fin des festivités et alors même que les rues de Tunis portent encore les traces du grand gâchis écologique (ces tonnes de papier imprimé à votre gloire), vous avez lancé votre milice, toujours payé par le contribuable, pour « casser la gueule » à un journaliste, Slim Boughdir, vous avez monté de toutes pièces une cabale contre notre ami journaliste Taoufik Ben Brik, et saisi ce prétexte pour l’embastiller. Il faut reconnaître à cet ami, un talent fou, pour vous brocarder vous et les vôtres, les « humeurs ben brikoises » nous faisaient sentir par l’écrit, et c’est là sa force, la déliquescence d’une société que vous dirigez avec une main en fer depuis vingt deux longues années. Depuis quelques jours nous n’avions plus de nouvelles d’un autre jeune journaliste, Mohammed Soudani, raflé, comme tant d’autres. Auparavant, votre police avait réservé une réception « musclée » dans l’enceinte de l’aéroport à notre ami Hamma Hammami, de retour de Paris où il avait commenté  sur France 24 et El Jazira les frasques de votre règne et appeler au boycott. 
En pleine campagne « électorale » vous avez refoulé l’envoyée spéciale du journal « Le Monde », sous des prétextes fallacieux, et votre presse aux ordres s’est fendue d’une campagne à son encontre dont l’indignité et la bassesse sont une injure à notre intelligence.
Pourtant rien ne laisser prévoir cette dérive répressive. Vous avez été « élu » avec prés de 90%, votre parti, le Rassemblement Constitutionnel Destourien, (« le plus vieux parti du continent africain ») a raflé la « majorité absolue » aux législatives. Vous avez ordonné de remercier les « partis » de décors en leur octroyant, toujours avec l’argent du contribuable, de substantielles prébendes (130 000 dinars pour les candidats « opposants » à la présidentielle, et une belle rente pour les futurs représentants de la future chambre d’enregistrement).
Votre « bilan est globalement positif », toujours selon vos plumitifs, et la Tunisie est appelé durant les cinq prochaines années à chanter vos louanges et profiter de votre « baraka ».
A vous entendre, à vous lire, quand cela est possible, certains papiers n’atteignent pas le seuil minimum de la lisibilité, sont indigestes, injurieux, mal rédigés et pourtant leurs prosateurs sont payés par le contribuable…, la Tunisie baigne dans une véritable « nachoua » (ivresse). Jamais les tunisiens, (jadis Bourguiba faisait remonter sa généalogie à Jugurtha et Hannibal),  ne se sont sentis aussi bien que sous votre règne.
La prospérité dont jouissent mes concitoyens, et vous le répéter à satiété frise le nirvana. 
Vos organes de propagande entonnent la même litanie à propos de la place qu’occuperait la Tunisie dans les différents classements internationaux à propos de tout et n’importe quoi.
Les affiches publicitaires vantant « le soleil », « la mer », « la sérénité », le « jasmin » toujours payées par le contribuable, se chargent de donner l’impression que le Tunisie si proche est un havre de paix. Les tarifs annoncés pour jouir de ce havre de paix sont tellement bas que l’on a du mal à croire que ceux-ci couvrent les véritables coûts du séjour vendu !
Mais votre petite musique sonne faux (et j’ai l’oreille musicale). Cela remonte à ce 5 janvier 2008 où la région de sud-ouest s’est soulevée contre votre tyrannie et l’incurie de votre « clairvoyante direction ».
Le bassin minier de la région de Gafsa, avec ses villes rebelles, Redeyef, Oum El Arayess, Métlaoui, Mdhila etc… ont fait tomber le masque derrière lequel vous vous camouflé.
Comme un seul homme et une seule femme, les populations de ces contrées ont crié leur haine de votre domination, du népotisme et de la corruption que vous avez érigez en système de gouvernement, de la misère noire dans laquelle vous les avez laissés croupir, avec son cortège de chômage endémique, de pollution, de vie chère, d’exclusions.
Durant six mois, vous avez cru pouvoir étouffer leur colère en ceinturant la région avec un cordon policier et militaire. Au final, vous avez fait tirer par vos ganaches, dans le tas, en assassinant de jeunes gens qui ne voulaient plus vivre dans l’indignité.
Pour vous venger, vous avez organisé un simulacre de procès à l’encontre des principaux animateurs de ce mouvement, et vous avez condamné Adnane Hajji et ses camarades syndicalistes à huit longues années de prison. Et pour parfaire votre vengeance, vous avez condamné par contumace, mon ami Mohiédine Cherbib, simple employé d’hôtel à Paris, et animateur avec nous d’un Comité de soutien avec les populations du bassin minier de Gafsa, à deux années de prison « pour complot et participation à bandes organisées »… Vous vouliez par ce geste nous menacer à travers cette condamnation comme vous l’avez fait en arrêtant le jeune rédéfien de Nantes, de retour au pays pour se marier, et qu’une campagne de dénonciation internationale a arraché de vos griffes. Les citoyens tunisiens vivant à Nantes et dont une grande partie sont originaires du bassin minier avaient manifesté, nombreux, en solidarité avec leurs proches.
Vous vous êtes acharné, sur un médecin psychiatre, Mr Ahmed El Eich, de retour à Tunis après un long exil, le condamnant à son tour et manière expéditive dans un simulacre de procès, à trois ans de prison, pour « ancienne appartenance » au mouvement Ennahdha ; il a fallu une formidable mobilisation de ses collègues et une pétition internationale pour l’arracher à votre vindicte.
Comme une mauvaise nouvelle ne vient pas seule, la même année qui a connu le mouvement de protestation le plus massif depuis votre « coup d’Etat médical », a vu se déclencher le « tsunami » qui a emporté le système capitaliste dans une de ses crises systémiques dont notre cher Karl Marx avait décrit, il y a plus d’un siècle et demi, le secret. Les plumitifs et les portes flingues de ce système ont beau se rassurer tous les matins en guettant l’improbable « sortie de crise » tant claironnée, on peut affirmer avec certitude qu’on est loin de l’éclaircie souhaitée. Les plus sérieux des analystes nous annoncent, des jours à venir, plutôt turbulents.
Vos thuriféraires ont beau s’échiné à nous expliquer que la Tunisie est sortie « indemne » de cette épreuve rien ne vient étayer leur thèse. Faut-il vous rappeler, que depuis début 2008, vous avez fait sauter les dernières protections douanières, dans le cadre de l’ouverture toujours prononcée du pays vers l’extérieur. Que les privatisations des derniers services publics vont bon train et que vous continuez à parier sur « l’émergence » par l’export et l’ouverture des frontières alors même que vos maîtres à penser nous tiennent un nouveau langage sur « la moralisation du capitalisme », « le rôle déterminant de l’Etat », « la nécessaire protection contre le dumping » et autres « joyeuseries ».
Tous les indicateurs que l’on peut analyser de manière fiable montrent que la Tunisie est rentrée dans une zone de turbulence. Mais, cela, mon Général, c’est aussi un classique déjà expérimenté par des pays beaucoup plus armés que la petite Tunisie. Nous avons encore en mémoire les crises d’Argentine, du Mexique, de Thaïlande…. Avec leur lot de  faillites en cascades, de fortunes défaites, de paupérisation des fameuses « classes moyennes ». L’accumulation-expropriation connaît des cycles avec un stade qui s’apparente à la naissance, ensuite nous avons un âge qui est celui de la peine possession des moyens ou âge mûr et vient enfin celui du troisième âge et la sénilité (et vous en connaissez un rayon mon Général, sans vous vexez).
Vous qui adorez les chiffres, nous pouvons vous en fournir. Ce que vous dilapidez dans vos agapes bachiques provient d’un impôt dont l’assiette repose essentiellement sur la population salariée. Le différentiel entre le capital et le monde du travail est de 20 points, correspondant aux deux décennies de votre « bonne et clairvoyante gouvernance ». Dans les années quatre-vingt, avant votre « coup d’Etat médical », la richesse produite était partagée à 60% pour le monde du travail et 40 % pour le Capital. Aujourd’hui, ces chiffres se sont inversés. 60% vont dans vos poches (la revue Forbes estime votre niveau de richesse personnelle à 5 milliards de dollars !) et celle de vos soutiens familiaux et autres ; les 40% restant sont à partagés par la majorité de la population ; salariés, petits artisans, petits commerçants, petits agriculteurs, jeunes précaires (avec ou sans diplômes) etc…
La fraude fiscale dont vous et vos amis sont responsables est estimée selon vos propres officines officielles à 747 milliards, et ce n’est qu’une estimation officieuse.
Les salaires en dinars constants n’ont pas bougé depuis votre prise de fonction en 1987. Votre beau-frère, le nouveau « riche » Belhassen Trabelsi est fier d’agiter le chiffre de 5000 dinars comme moyenne de revenu perçue en Tunisie. 5000 dinars étant une moyenne !!! cela nous donne un salaire mensuel moyen de 416 dinars.  Nous voudrions simplement lui demander comme on le fait dans la fameuse émission française « vie ma vie » de tenter de sortir de son ensorcellement et de tenter de vivre, un seul mois, avec cette somme, en ayant à charge, une famille lambda ; papa, maman et deux enfants.
Avec les 416 dinars, nous voudrions qu’il nous fasse la démonstration que cela possible, que cela est faisable.
Nous lui facilitons la tâche, nous présupposons que la famille en question est propriétaire de son logement (les tunisiens sont « propriétaires » de leur logement à plus de 80% selon la propagande officielle), que papa et maman travaillent. Que les deux appartiennent à cette « classe moyenne » tant vantée par les thuriféraires du régime. Etes- vous  prêt à tenter l’expérience, Monsieur Belhassen Trabelsi !
Ces « nouveaux riches » ensorcelés par la rapidité avec laquelle ils ont fait fortune, vivant dans de véritables bunkers avec gardes armés et vidéosurveillance, ne circulant que dans des limousines derniers cris (pour certains ce sont les fameux « Hammers » américains à plus de 100 000 euros l’unité), ne fréquentant que leurs semblables dans des palaces et clubs « Wall disneyen », la réalité du petit peuple  leur est presque inconnue. (voir les chroniques de notre ami Ben Brik sur Nouvel Obs et Médiapart).
Ils ne vivent pas dans le même pays. Et lorsqu’ils se sentent à l’étroit dans les banlieues chics de la capitale, ils viennent s’aérer les neurones et faire du shopping à Paris, à Londres ou ailleurs, descendant dans des palaces où les suites sont facturées plusieurs milliers d’euros la nuitée.
Aujourd’hui, ce sont entre 150 000 et 200 000 jeunes qui se trouvent au chômage, avec différents niveaux d’études et de diplômes. L’Etat a créé différents dispositifs d’aides à l’emploi des jeunes diplômés. Aujourd’hui, le contribuable participe pour moitié dans la rémunération des jeunes diplômés employés pour la première embauche. Leur salaire tourne autour de 300 dinars (150 euros) avec prise en charge de la moitié du salaire par les subventions. Et même à ce prix, les employeurs rechignent ou « oublient » d’honorer les charges sociales afférentes à ces salaires.  Aujourd’hui, il y a une véritable bombe à retardement constituée par ces dizaines de milliers de jeunes qui à 76% d’entres eux déclarent, dans une enquête effectuée auprès d’un panel de jeune de 15/30 ans, ne désirer que « fuir l’enfer » qui leur est réservé au pays des « miracles ».
Mon général, vous avez le don de la prestidigitation, vous êtes un magicien producteur de miracles.
Vous avez prétendu être à l’origine de la métamorphose du pays depuis votre avènement. Votre prédécesseur, Bourguiba, nous a fait « peuple » à partir d’un amas de poussières. Vous vous targuer d’avoir fait de la Tunisie, un pays « émergeant » qui caracole en tête des classements. A l’heure des bilans, le compte n’y est pas. Si on peut constater que vous et votre « smala » aviez amoncelé une richesse qui se chiffre en milliards de dollars et qu’une bonne partie de celle-ci a été mise à l’abri (avant le tsunami financier !) des paradis fiscaux. Vous vous êtes mis en tête d’édifier un château en Argentine (pourquoi si loin !!). Sans compter vos biens « mal acquis » possédés un peu partout dans le monde. Votre beau fils, le petit prince bigot Sakhr vient, à 29 ans, d’acquérir une superbe villa à 2,5 millions de dollars au Canada et a fait accoucher votre fille au Canada afin que votre petit-fils puisse acquérir la nationalité canadienne (on n’est jamais trop méfiant). Le même beau fils, El Materri, vient de s’offrir une banque au capital de 30 milliards, la fameuse Banque Zitouna. Au tour de table du conseil d’administration de celle-ci, on trouve les nouveaux « barons » tunisiens, milliardaires qui ont « fait leur chemin » sous votre règne, mon Général.
Il faut les voir, la mine réjouit, autour du petit prince bigot, posant pour la photo de famille autour de celui en qui ils voient un successeur à votre généralissime.
La Tunisie sort exsangue de 22 ans de règne despotique. Certains souhaitent prolonger encore cinq bonnes années leur festin. C’est ne pas prendre en considération les clignotants qui virent au rouge les uns après les autres. Ce n’est pas le tintamarre de cette « récréation », pour reprendre le bon mot de Mustapha Ben Jaafar, qui peut cacher plus longtemps le début de ce qui s’annonce comme les signaux d’une fin de règne.
Ce ne sont ni vos menaces, ni celles de vos portes flingues, qui pourront dévier le cours des choses. La peur a changé de camps. Il y a aujourd’hui, dans la jeunesse, dans les rangs des travailleurs et des salariés un vent de fronde annonciateur de contestation de masse de votre tyrannie et de la tyrannie de la classe bourgeoise « samsara » qui a amplement profité durant ce dernier quart de siècle. Bourguiba a vu son aura dégringolé à partir de notre mouvement du 5 février 1972 où nous avions été des dizaines de milliers à crier dans la rue « qu’avec ou sans études, il n’y a point d’avenir » (« Takra oula ma takrach moustakbal ma famach »). La grève générale du 26 janvier 1978 a été le moment où le pouvoir a vacillé et vous étiez déjà là, mon Général, pour l’empêcher de tomber. La suite vous la connaissez mieux que quiconque puisque vous étiez aux premières loges. Dans ces conditions, il n’est pas question de vous faire un dessin. Juger simplement par ce qui se passe autour de vous si vous êtes encore capable d’avoir les « bon conseils » et les bons rapports de police sur la colère qui monte, qui monte.
Je crains fort que comme, Bourguiba, vous avez tellement multiplié les niveaux de responsabilité de votre appareil de répression, cloisonné les départements de police et de sécurité, joué ces départements les uns contre les autres pour empêcher qu’il ne vous arrive la même mésaventure que votre prédécesseur, que vous vous trouviez aujourd’hui au milieu d’un échiquier où vous n’êtes plus le seul maître du jeu.
Rappelez-vous les mésaventures de tous les dictateurs de ce dernier quart de siècle ! Ils sont passés à la trappe. Qui se rappelle encore de « l’aigle des Carpartes », du « génie de Bagdad », qui se rappelle aujourd’hui de votre ami Jaruzelski, ou de son compère Est Allemand Honnequer et sa fameuse police tant redoutée « la Stasi ». Tous balayés…
Certes sur le continent africain vous ne devez pas vous sentir seul. Les dictateurs de votre acabit sont en bonne forme. Khadafi au Sud et Bouteflika à l’Ouest vous font sentir une solidarité sans faille. Protégé sur ces deux frontières par des voisins avenants cela vous laisse penser que rien ne vous atteindra.   Mais la vieille taupe creuse lentement et s’apprête à refaire surface.
Dans notre Maghreb, les craquements se font sentir. Nous avons eu la révolte de Gafsa, suivi de celle de Sidi Ifni au Maroc, aujourd’hui c’est au tour des gueux de la bien nommée « Cité Echams » (Cité Soleil) en plein centre d’Alger, de s’en prendre à la tyrannie de Bouteflika. La bonne vieille taupe creuse je vous dit…
Hamadi AOUINA
Le 02 novembre 2009

Publié dans CHRONIQUE

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