Ben Ali fait face à une crise sérieuse avec le mouvement social dans le bassin de Gafsa.

Publié le par BAUDOUIN LOOS

Militante des droits humains, Radhia Nasraoui témoigne   «Le pays stable se lézarde»

Pour l’avocate, le régime de Ben Ali fait face à une crise sérieuse avec le mouvement social dans le bassin de Gafsa.

L'infatigable avocate des droits humains tunisienne Radhia Nasraoui était en nos murs ces derniers jours. L’occasion, pour elle, d’évoquer avec Le Soir une situation dont elle regrette le manque flagrant de publicité. Morceaux choisis.
Vous vous êtes impliquée dans les «événements du bassin de Gafsa», des troubles sociaux qui durent depuis janvier dans le sud-ouest de la Tunisie…
Ce qui s’est passé là-bas montre que cela va de mal en pis. Maintenant, «ils» osent tirer sur la foule (un mort) et cela n’a même pas attiré l’attention des chaînes de télévision françaises! Cela s’est passé le 6 juin à Redayef. Sans susciter d’enquête. Alors qu’une pierre lancée en direction d’un policier déchaîne une vague d’arrestations. Dans le cas du bassin minier de Gafsa, on compte quelque deux cents arrestations. Les chefs du mouvement de protestation sociale ont été torturés dès avril; j’ai personnellement vu des traces de torture et fait des photos.

Vous parlez d’acharnement…
Une militante des droits de l’homme, Zakia Dhifaoui, a par exemple été condamnée à de la prison ferme pour s’être trouvée au milieu d’une manifestation de femmes (8 mois réduits à 4,5 en appel). Le chef de la sécurité l’a menacée de viol et elle a dû signer un procès-verbal bidon. Le tribunal a refusé d’acter ses dires, ce qui prouve une fois de plus que les magistrats protègent les tortionnaires. Dans les cas les plus flagrants de torture, ils refusent les expertises médicales. La torture est prohibée par les textes légaux tunisiens, mais ceux-ci n’existent que pour conforter une belle image contraire à la réalité.

En quoi les événements de Gafsa seraient-ils importants?
Il y a déjà eu précédemment des mouvements de grève à travers la Tunisie, mais celui-ci est le plus important. Il démontre que la réputation de pays stable en plein essor économique se lézarde. Et il ne s’agit pas ici d’islamistes qu’on réprime: on parle de gens poussés par la misère et qui n’ont rien à perdre! La région est riche en phosphate mais la population n’en profite pas, à l’exception des proches du pouvoir. L’étincelle a été, le 5janvier, un recrutement après un concours d’embauche que les gens ont estimé falsifié, favorisant des pistonnés. Ça a été le tollé car le chômage est massif.

Comment a réagi le régime?
Après la répression, celui-ci s’est révélé très nerveux, tentant d’empêcher tout témoignage. En atteste ce qui est arrivé un journaliste de la petite chaîne par satellite Al Hiwar Attounsi qui avait réussi à diffuser des images de là-bas: il vit désormais dans la clandestinité car il est poursuivi pour avoir fait son métier d’informer. On dit que le président Ben Ali a renoncé à aller à Gafsa en raison du mécontentement de la population, laquelle a d’ailleurs chassé des hommes politiques dépêchés de Tunis.

Tunis, où la situation politique reste figée depuis vingt ans…
On aurait pu espérer qu’avec des élections présidentielles en 2009, un certain assouplissement serait perceptible. Mais non, au contraire, les libertés restent plus que jamais traquées. Des partis légaux et des associations de la société civile se retrouvent dans l’incapacité physique de se réunir. Le but est de démobiliser et de décourager. Mon propre cabinet d’avocat a été plusieurs fois encerclé et ma clientèle intimidée.

En 2005, pourtant, le collectif dit du 18 octobre a réuni diverses sensibilités de l’opposition après une grève de la faim…
C’est pourquoi, ces militants ne peuvent plus se réunir. Ils font peur au pouvoir car ils représentent en effet des tendances très variées, de gauche, nationaliste, libérale, islamiste, etc. Et ils sont arrivés à sortir des textes communs affirmant par exemple la nécessité de préserver les acquis des femmes ou la liberté de conscience. Cela ne fait pas les affaires du régime. Ben Ali ne veut pas de débat. Vous savez, si les Tunisiens jouissaient de la liberté de choisir, il ne resterait pas au pouvoir. Les Tunisiens savent qu’il ne demeure là où il est que par la force, la torture et l’emprisonnement. Même des policiers de base nous disent leur embarras. C’est le ras-le-bol car trop c’est trop.

Mais le régime tient…
Avec ses méthodes. Avec l’appui de l’Europe et d’abord de la France. Et dans le silence des médias européens peut-être dissuadés par le sort funeste d’un journaliste français sauvagement agressé en plein Tunis en octobre 2005.
BAUDOUIN LOOS
(Source : « Le Soir » (Quotidien – Bruxelles), le 22 octobre 2008)

Publié dans ESPACE INFO

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