Gafsa, terrain miné pour Ben Ali

Publié le par CHRISTOPHE AYAD

Le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, candidat à un cinquième mandat. (Reuters)
Tunisie. Une répression sévère s'est abattue sur cette région, symbole des tares du régime.

Cela fait sept mois maintenant que la région de Gafsa est en ébullition. Ce bassin minier pauvre, aux confins de la frontière algérienne, est devenu pour le pouvoir tunisien le plus long foyer de contestation depuis l'arrivée au pouvoir, en 1987, du président Zine el-Abidine Ben Ali, candidat à un cinquième mandat. Vendredi 25 juillet, la ville de Redeyef, épicentre de la contestation, a été le théâtre d'une nouvelle manifestation, dispersée sans ménagement par les forces de l'ordre, et suivie de l'arrestation de quatre nouveaux responsables d'associations et de syndicats, dont Zakia Dhifaoui. Cette enseignante et militante du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) a été arrêtée par des agents en civil chez Jomaa Hajji, l'épouse du leader de la protestation dans la région de Gafsa, Adnan Hajji, lui-même emprisonné depuis le 22 juin. La marche de dimanche rassemblait quelque 500 proches de détenus.

Privilégiés. La révolte à Redeyef a débuté le 5 janvier, lorsque la direction de la Compagnie des phosphates de Gafsa affiche les noms des nouveaux embauchés. Le chômage est particulièrement élevé, surtout chez les jeunes diplômés, les vagues d'embauche sont rares. Quand les habitants découvrent que les enfants des cadres de l'entreprise, par ailleurs membres de la centrale syndicale UGTT, sous étroit contrôle du gouvernement, ont été privilégiés, la colère explose. D'autant que les instances régionales du syndicat sont contrôlées par des gens venus de Tunis et du reste du pays et non par des «enfants du pays», dans une région très tribalisée. Les forces de l'ordre, débordées dans un premier temps, réagissent avec d'autant plus de violence. Mais, à la surprise générale, les habitants ne cèdent pas. Les femmes et les enfants descendent dans la rue fin janvier pour obtenir la libération des hommes emprisonnés. Face au mouvement, qui s'étend à tout le bassin minier de Gafsa (Oum Larayes, Metlaoui, Feriana, etc.), plusieurs familles partent s'installer dans la montagne, voire en Algérie toute proche, pour échapper à la répression. A partir du mois de mars, la région vit un encerclement quasi-permanent. Les véhicules sont contrôlés à l'entrée et à la sortie de la région.

L'escalade est constante, entrecoupée de pauses. Le 6 juin, la police tire à balles réelles, tuant un manifestant et en blessant 26 autres. En juin, l'armée a été envoyée sur place face à l'incapacité de la police à contenir les manifestations.

Elections. C'est que le pouvoir craint avant tout une contagion de ce conflit social et politique au reste du pays. La révolte de Gafsa résume bien à elle toute seule nombre de maux tunisiens : chômage des jeunes, pauvreté extrême des zones marginales du pays, népotisme, infiltration des instances syndicales par le pouvoir, absence de tout espace d'expression et de représentation, syndicale comme politique, et enfin gestion sécuritaire de toute contestation. Mais étrangement, la cause des mineurs de Gafsa n'a guère mobilisé, jusqu'à présent, les opposants et militants de droits de l'homme à Tunis, plus focalisés sur les élections présidentielle et législatives de l'année prochaine, jouées d'avance.

Meilleure preuve du refus du pouvoir d'enclencher toute forme de dialogue ou de négociation, tous les leaders du mouvement de protestation à Gafsa ont été arrêtés et sont en instance de jugement, quand ils ne sont pas en fuite. A commencer par Adnan Hajji, le chef du mouvement, ainsi que Tayeb Ben Othman et Béchir Laabadi. A ce jour, selon une liste nominative dressée par des militants des droits de l'homme, au moins 190 personnes ont été écrouées. Seule une minorité d'entre elles ont été jugées, et condamnées à des peines allant de deux mois à trois ans de prison. Plusieurs cas de torture ont été signalés durant la détention. Mais des peines beaucoup plus lourdes pourraient frapper les «têtes» du mouvement. Hajji, qui était entré dans la clandestinité, est accusé de «constitution de bande de malfaiteurs, association en vue de porter atteinte à des personnes et à des biens publics, et rébellion». Il risque vingt ans de prison.

A la mi-juillet, le pouvoir a tenté une ouverture, sans succès. Le PDG de la société des mines a été renvoyé pour «incompétence» et le président Ben Ali a promis un grand plan d'investissement dans cette région sous-développée. Il en faudra plus, et surtout plus d'avancées concrètes, pour restaurer une confiance en miettes entre les habitants de la région de Gafsa et le pouvoir à Tunis.

© Libération

Publié dans ESPACE INFO

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article